Les moyens de dénoncer les faits de violence auprès de la justice
A) Le flagrant délit
Le flagrant délit est une situation exceptionnelle dans laquelle des dérogations sont prévues et accordent plus de pouvoirs au procureur. En cas de flagrant délit, le procureur de la République dispose de pouvoirs plus importants, notamment l’arrestation du suspect et sa comparution immédiate. Cette procédure est étendue aux crimes et délits même non flagrants nécessitant l’intervention des autorités pour constater des violences conjugales.
B) La plainte
La plainte est un acte par lequel une personne signale au commissariat ou à la gendarmerie de son choix, des faits dont elle estime être victime. Suite au dépôt de plainte, le dossier est transmis au procureur de la République, qui examine la plainte et décide de la suite à lui donner. Il est possible de déposer plainte sans certificat médical mais ce document constitue un élément de preuve important (cf modèle de certificat médical). Il est possible de retirer une plainte mais le retrait de celle-ci n’entraîne pas forcément l’arrêt des poursuites pénales, qui reste la prérogative du procureur de la République. Il est également possible de porter plainte directement par courrier (lettre RAR) auprès du procureur de la République (tribunal judiciaire du lieu de l’infraction ou du domicile de l’auteur de l’infraction).
C) La main courante ou le procès verbal de renseignement judiciaire
Ce sont de simples déclarations qui permettent d’enregistrer et dater des faits qui ne constituent pas en principe une infraction, susceptibles d’être utilisées en cas de procédure judiciaire ultérieure. La main courant se dépose en commissariat et reste dans les locaux de la police, tandis que le procès-verbal de renseignement judiciaire (PVRJ) s’enregistre en gendarmerie et est systématiquement transmis au Parquet et de ce fait peut faire l’objet de suites. Les conséquences peuvent ne pas être les mêmes pour la victime si le procureur décide d’engager une enquête. Cependant, la circulaire du 24 novembre 2014 (NOR : JUSD1427761C) vient encadrer le recours aux mains courantes et PVRJ en cas de violences conjugales. Elle propose la mise en place de conventions locales sur le sujet. Cette convention s’est déclinée en Loire-Atlantique en décembre 2014. Son principe : en matière de violences conjugales, le dépôt de plainte est la règle. Le recours à la main courante et au PVRJ doit demeurer une exception, justifiée par le refus manifeste de la victime de déposer plainte. En outre, si la victime présente des marques notables et visibles de violences, si elle invoque des violences physiques répétées, si le mis en cause présente une addiction à l’alcool ou aux stupéfiants, ou si la présence d’enfants est constatée, il convient de procéder à une enquête complète.
D) La dénonciation d’un tiers
Toute personne peut informer les services de police, de gendarmerie ou le procureur de la République (lettre RAR) d’une infraction. De telles dénonciations peuvent justifier l’ouverture d’une enquête ou d’une information judiciaire. La dénonciation peut être anonyme : dans ce cas, la police judiciaire aura cependant des pouvoirs d’enquête moins étendus. Attention, dans le cas de violences conjugales, une dénonciation sans l’accord de la victime peut la mettre en danger.
E) La plainte avec constitution de partie civile auprès d’un juge d’instruction
Il s’agit de demander directement au juge d’instruction (du tribunal judiciaire du lieu de l’infraction ou du domicile de l’auteur des violences) d’ouvrir une information judiciaire, afin de lancer la procédure pénale tout en demandant réparation des préjudices subis. Il est nécessaire d’avoir d’abord déposé une plainte simple, classée sans suites ou restée sans réponse du procureur depuis au moins trois mois (sauf en cas de crime : viol, meurtre, etc. …). Il est fortement conseillé d’être assistée d’un avocat en raison de la complexité de cette procédure.
F) La citation directe
Cette procédure permet à la victime (ou au procureur) de saisir directement le tribunal de police (contravention) ou le tribunal correctionnel (délit), en informant la personne poursuivie des lieu et date de l’audience. Elle permet de lancer la procédure pénale tout en demandant réparation des préjudices de la victime. Ici la victime doit apporter elle-même des éléments de preuve suffisants. Il est fortement conseillé d’être assistée d’un avocat en raison de la complexité de cette procédure.
Les réponses judiciaires
Le procureur de la République occupe une place essentielle dans la répression des violences conjugales . Il met en mouvement l’action publique et détermine le mode de poursuite pénale.
Dans l’ancien Code pénal, les violences commises par le conjoint ou le concubin n’étaient pas spécifiquement reconnues. La loi du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du Code pénal mentionne que la qualité de conjoint ou de concubin de la victime constitue une circonstance aggravante. Ce principe est étendu aux partenaires de PACS et « exs » (conjoints, concubins, et partenaires de PACS) par la loi du 4 avril 2006. La loi du 3 août 2018 précise que cela s’applique également lorsqu’ils ne cohabitent pas avec la victime. Il en ressort que même s’ils n’ont entraîné aucune incapacité totale de travail (ITT), ces faits de violences sont constitutifs d’un délit donc passibles du tribunal correctionnel.
Une fois informé, le procureur de la République examine les éléments à sa disposition et décide de la suite à donner à cette procédure. Selon les cas, il peut :
- engager des poursuites pénales,
- mettre en œuvre des mesures alternatives (composition pénale, rappel à la loi, stage de responsabilisation, etc. …),
- classer l’affaire sans suite.
Les alternatives aux poursuites
- Le rappel à la loi est ordonné par le procureur de la République. Il s’agit de faire prendre conscience à l’auteur qu’il a commis un acte illégal et que la victime a subi un traumatisme : on lui rappelle la règle de droit, la peine prévue et les risques de sanction en cas de réitération des faits.
- La composition pénale est suggérée par le procureur de la République. Le but est de proposer des sanctions (amende, travaux d’intérêt général, stages de responsabilisation, injonction thérapeutique, etc. …) en échange de l’arrêt des poursuites. Les dommages causés à la victime doivent également être réparés (indemnisation, excuses, etc. …). L’auteur doit reconnaître les faits et donner son accord. La victime est informée du déroulement de la procédure et peut participer à un entretien si elle le souhaite. Les parties peuvent se faire assister par un avocat et solliciter l’aide juridictionnelle. La composition pénale exécutée est inscrite au bulletin n°1 du casier judiciaire.
- Les stages de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple sont ordonnés par le procureur de la République, aux frais de l’auteur des violences.La médiation pénale est proscrite en cas de violences au sein du couple depuis la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales (art. 41-1 du Code pénal).
Les dispositions civiles et pénales
A) L’éviction du conjoint violent au pénal
Les lois successives de 12 décembre 2005 , 4 avril 2006 et 5 mars 2007 facilitent l’éviction du domicile de l’auteur de violences (conjoint, concubin, partenaires de PACS et « ex ») à tous les stades de la procédure pénale. Le procureur de la République peut décider d’imposer l’éviction du conjoint violent avec interdiction d’approcher la victime suite à la transmission d’une plainte ou d’un procès-verbal de renseignement judiciaire, ou lors d’une composition pénale. Cette décision peut aussi intervenir lors d’un placement sous contrôle judiciaire, d’une condamnation à un sursis avec mise à l’épreuve ou à un suivi socio-judiciaire.
Le service pénal de l’ADAES 44 est saisi d’une procédure ouverte pour des violences conjugales dans le cadre de la permanence d’orientation pénale qu’elle assure au tribunal judiciaire de Nantes. Le protocole d’éviction est alors mis en place avec une mesure de contrôle judiciaire confiée à l’ADAES 44. Dans ce cadre, le dispositif prévoit d’organiser un hébergement d’urgence pour l’auteur. Ces dispositions permettent aux juges de prononcer et de garantir une prévention à la réitération et à la protection des victimes.
B) L’ordonnance de protection
La loi du 9 juillet 2010 a mis en place les ordonnances de protection. Elles permettent de mettre en place un ensemble de mesures provisoires d’une durée de 6 mois, renouvelable si une demande en divorce, en séparation de corps, ou concernant l’exercice de l’autorité parentale a été déposée durant ce délai. Il n’est pas obligatoire d’avoir déposé une plainte au préalable. Elle peut concerner des personnes cohabitant, ne cohabitant plus ou n’ayant jamais cohabité.
Pour bénéficier de cette mesure, la victime doit en faire la demande auprès du tribunal judiciaire. Il n’est pas obligatoire d’avoir recours à un avocat mais cela est fortement recommandé. Le juge aux affaires familiales se prononce sous 6 jours à partir de la fixation de la date de l’audience et ordonne des mesures de protection :
- interdiction pour l’agresseur d’entrer en relation avec la victime, ses enfants ou ses proches.
- interdiction pour l’agresseur de se rendre dans certains lieux fréquentés de manière habituelle par la victime.
- interdiction pour l’agresseur de détenir une arme.
- proposition à l’agresseur d’une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique ou d’un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes.
- attribution systématique (sauf ordonnance spécialement motivée, justifiée par des circonstances particulières) de la jouissance du logement commun (PACS ou concubinage) ou conjugal à la victime de violences et possibilité de prise en charge des frais afférents par l’auteur des violences.
- révision des modalités d’exercice de l’autorité parentale et du droit de visite et d’hébergement, ainsi que de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, la contribution aux charges du mariage ou l’aide matérielles (PACS) le cas échéant.
- autorisation faite à la victime de dissimuler sa nouvelle adresse pour toutes les procédures civiles et d’élire domicile chez son avocat ou chez le procureur.
- autorisation faite à la victime de dissimuler son adresse et élire domicile chez une personne morale qualifiée pour les besoins de la vie courante.
- admission provisoire à l’aide juridictionnelle pour couvrir les frais d’avocat, éventuels frais d’huissier et d’interprète.
Lorsqu’une interdiction d’approcher a été prononcée, le juge aux affaires familiales peut prononcer, avec l’accord de la victime et de l’agresseur, le port d’un dispositif électronique anti-rapprochement signalant à tout moment le non-respect de cette obligation.
C) Le Téléphone Grave Danger (TGD)
Ce dispositif a été généralisé par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Il s’agit d’un dispositif de téléprotection permettant aux victimes d’alerter les autorités en cas d’urgence. Avec l’accord de la victime, ce dispositif peut permettre sa géolocalisation au moment où elle déclenche l’alerte. Il peut être attribué par le procureur de la République, pour une durée de 6 mois renouvelable, en cas d’éloignement de l’agresseur sur décision de justice (non cohabitation et interdiction d’entrer en contact), ou en cas de danger grave et imminent lorsque l’auteur n’a pas encore été arrêté ou jugé. Le TGD peut également être délivré en cas de grave danger menaçant une personne victime de viol.
Se faire accompagner
Que l’on soit victime directe ou indirecte ou auteur de violence, il est possible de sortir de la violence.
Il est difficile pour la victime de sortir seul-e de la situation d’emprise et de peur. Sortir de la violence suppose d’être accompagnée sur la durée. De même, l’auteur des violences ne pourra modifier son comportement qu’au prix d’une analyse de ses comportements et d’un accompagnement adapté sur la durée, sur contrainte judiciaire parfois.
Envisager et organiser la séparation
Selon MF Hirigoyen « pour partir il faut reconnaître son impuissance à changer l’autre et décider de s’occuper enfin de soi ».
La séparation est un long cheminement et se fait par étapes. Une situation de violence ne cesse pas du jour au lendemain et se dégager de l’emprise est un processus long pour lequel plusieurs allers et retours peuvent être nécessaires.
Décider de rompre la relation avec son conjoint ou le départ lui-même expose la victime au risque de violences graves, c’est pour cette raison qu’il est nécessaire de préparer son départ et organiser une protection.
Le départ peut générer une précarité (baisse de ressources) et nécessite de changer ses habitudes (ne pas retourner sur la quartier d’origine, incidence sur le travail…).
Souvent la victime n’informe pas ses enfants de son projet de départ afin que l’auteur n’ait pas connaissance de cette séparation. Parfois un départ précipité s’impose (suite à une scène particulièrement violente, des menaces sur les enfants…) et nécessite une mise en sécurité immédiate. Il reste néanmoins plus intéressant pour la femme (et les enfants le cas échéant) d’anticiper son départ afin de se protéger au mieux, de préparer ses démarches sur le plan du logement, de l’emploi, de préserver ses droits ultérieurs (documents utiles au divorce, à la plainte, aux droits sociaux, carnet de santé des enfants etc. … ).
« Les années ont passé et un jour, il a levé la main sur moi et là, j’ai mis le mot violence conjugale sur ce qui se passait, là vous vous dites ‘stop’. J’ai pris la décision de le quitter. Quand j’ai trouvé un appartement, je me suis enfuie avec notre fils. Quelques mois plus tard, j’ai pris le téléphone et j’ai appelé. Toute seule, je ne pensais pas pouvoir m’en sortir et dès que j’ai mis le pied dans cette association, j’ai su qu’on pouvait m’aider, j’ai enclenché une procédure de divorce et on est plus jamais rentrés à la maison. Vous ne pouvez pas aimer quelqu’un qui vous maltraite, c’est une espèce de dépendance, je pense qu’inconsciemment on a très peur de la solitude, c’est pour ça qu’on ne part pas. L’autre jour, j’ai entendu mon fils chanter, je ne l’avais jamais entendu chanter pendant treize ans. Rien que pour ça j’ai bien fait. ».
Extrait du portrait de Chantal – ouvrage de Catherine Cabrol, Blessures de femmes – édition Atlantica – 2009.
VOIR FICHE RESSOURCE THÉMATIQUE ORGANISATION DE LA SÉPARATION
L’accompagnement des femmes victimes de violences conjugales par des professionnel-le-s spécialisé-e-s
Afin de pouvoir répondre de façon adaptée à ces situations singulières, l’accompagnement des professionnel-le-s et de l’entourage est primordial. Le compagnon violent crée un climat de tension continu alternant des périodes de violence et des périodes d’accalmie. Ce comportement explique que la victime ait des difficultés à voir clair et à se séparer de l’auteur.
La victime doit pouvoir être seule pour échanger avec le ou la professionnel-le. De cette manière, les professionnel-le-s aideront la victime :
- à prendre conscience du processus des violences,
- à sortir de l’emprise en réalisant qu’elle n’est pas seule,
- à identifier les partenaires pouvant l’aider et l’accompagner dans ses démarches.
Les étapes de l’entretien :
- créer un climat d’écoute et de confiance et d’encouragement de sa démarche,
- poser ystématiquement la question des violences et détecter les signes de violences,
- affirmer l’interdiction des violences par la loi et la seule responsabilité de l’auteur en la matière,
- évaluer les risques immédiats encourus par la victime et les enfants. En cas de danger, alerter le partenaire du réseau le plus approprié (l’hébergement d’urgence, les forces de l’ordre, un médecin, une association..).
- informer et orienter la victime vers le réseau de partenaires spécialisés qui aidera la femme à planifier sa séparation et sa sécurité future (scénario de protection),
- apporter la réponse adaptée dans son domaine de compétence (accompagnement social,médical, juridique…).
Sortir de la violence conjugale est un processus qui peut être long. AUSSI, les professionnel-les DOIVENT avec humilité et prudence, respecter le rythme de la femme tout en évaluant le danger potentiel pour la femme et ses enfants. L’enjeu est de soutenir la victime afin qu’elle se réapproprie son existence.
Parallèlement, les professionnel-les doivent soutenir l’entourage pour aider les victimes à exprimer les faits de violences. Il est en effet difficile de dire une situation qui est vécue comme un échec et qui entraîne un sentiment de honte voire de culpabilité.
En outre, parler peut précipiter les prises de décisions de la victime. Il est donc important de respecter son rythme propre car il s’agit, pour elle? de mettre fin à une relation amoureuse, parfois à la vie commune avec le père des enfants.
Il ne faut pas minorer la peur des victimes à engager une séparation effective. Elles ont souvent reçu des menaces de la part de leur conjoint (« je te tue si tu pars », etc. …). Rien ne peut être fait contre la femme qui ne souhaite pas partir, sinon un signalement pour personne en danger auprès du Procureur dans les cas d’extrême danger.
VOIR FICHE RESSOURCE THÉMATIQUE PRISE DE CONSCIENCE, ÉCOUTE, SOUTIEN, ORIENTATION